Journaligeek — Vous êtes passionné de « pédagogie active » c’est-à-dire que vous souhaitez que vos élèves « apprennent en faisant ». Ce tout nouveau système, en France, est-il en adéquation avec les attentes du marché du travail ? Quels sont les retours de vos élèves ? Quels sont les retours des entreprises ?
Nicolas Sadirac — Alors c’est un peu tôt pour parler du retour des élèves et des entreprises puisqu’on vient de démarrer depuis 4 mois (ndlr : interview datant de Février 2014). Ce dont je peux parler ce serait de mes expériences passées. Parce que, effectivement, ça fait à peu près 20 ans que je fais ça dans d’autres structures dont EPITA et EPITECH.
« Les moutons rares valent des milliards »
D’abord les retours entreprises sont formidables. Aujourd’hui, un étudiant qui sort d’EPITECH a entre 25 et 35 demandes d’emplois donc il y a une vraie demande très très forte. On est dans le paradigme économique, le gros du système fabrique des « logisticiens », même en informatique, capables de faire des choses très très complexes, très très structurés mais pas du tout imaginatif, pas du tout créatif, pas du tout innovant.
Donc, aujourd’hui, les « moutons rares », des gens capables de vous inventez une Freebox ou de vous sortir un Facebook, ils valent une fortune puisqu’ils valent un écosystème entier, ils valent des milliards donc il n’y a pas de problématique, ça c’est extrêmement recherché.
« Le système scolaire a été fait pour simplifier la vie »
Pour les étudiants c’est un peu plus compliqué. Beaucoup d’étudiants ne sont pas bien dans le système scolaire mais ils imaginent que quand on enlève tout un tas d’artifices ds le système scolaire, ça va bien se passer, alors qu’en réalité c’est plutôt plus dur.
Le système scolaire d’aujourd’hui a été fait pour simplifier la vie, pour normaliser les choses. Un exercice scolaire : tout est fait pour que ça marche ! C’est, en fin de compte, une abstraction, une simplification du monde.
« La difficulté c’est la charge de travail »
LA problématique c’est quand on revient dans la réalité tout devient plus problématique et donc devient plus pénible. Et ça, ça demande beaucoup d’effort. Donc ça c’est une vraie difficulté, particulièrement en ce moment, puisque là on est en début de cursus, et dans ce début de cursus, en générale, la difficulté c’est cette charge de travail.
C’est-à-dire que les étudiants ne sont pas habitués à travailler 70 à 90 heures par semaine alors qu’ils sont habitués à travailler plutôt une trentaine d’heures donc ça demande un surinvestissement important. La contrepartie c’est que c’est de l’investissement actif.
« Je ne suis pas fan de « pédagogie active ». »
On parlait tout à l’heure « pédagogie active », en fin de compte, je ne suis pas fan de « pédagogie active ». C’est simplement que, pour apprendre à des gens à être autonome, il n’y a que ça qui marche. Vous ne pouvez pas apprendre à quelqu’un comment être autonome en lui expliquant comment l’être. Vous êtes obliger de le mettre en situation de ….
Parce que c’est comme ça que l’on développe son autonomie. On ne développe pas son autonomie avec quelqu’un qui dit : « – Dans ce cas là, il faut faire sa ». On a tout le temps de la dépendance.
« On enlève le professeur mais on lui substitue la communauté. »
La seule façon de développer l’autonomie, la créativité, la capacité à évoluer c’est, justement, en se soustrayant à leur professeur, en enlevant le professeur. La bonne technique, qu’on a mis en place, c’est qu’on enlève le professeur mais on lui substitue la communauté. C’est-à-dire que les étudiants vont apprendre les uns des autres, collaborativement, et ils vont apprendre quand on est, finalement, un groupe.
« Leur seule vraie compétence c’est leur créativité. »
La problématique c’est que la société qu’on est en train de construire est basée sur l’innovation, la créativité et l’évolution permanente. On est dans le permanent changement. Le paradigme est donc totalement différent. Les qualités qu’on attend des individus dans cette nouvelle société sont, essentiellement, leur créativité et leur capacité à collaborer. D’ailleurs, en fin de compte, leur seule vraie compétence c’est leur créativité.
« On est obligé de faire le contraire du système éducatif. »
Mais on s’aperçoit, aujourd’hui, que sans collaboration on n’arrive plus à être créatif puisque le niveau de créativité est trop élevé pour être individuelle. Et donc, pour arriver à ces qualités on est obligé, finalement, de faire le contraire du système éducatif. C’est-à-dire qu’on ne doit pas avoir un professeur « exemple » qu’on va essayer d’imiter et où l’on va essayer de se conformer le plus possible.
Mais au contraire, on doit soustraire le professeur et lui remplacer petit à petit la communauté. Donc c’est tout le processus qu’on essaie de mettre en phase ici mais, du coup, ça demande tout un tas de nouvelles qualités comme discuter avec ses camarades, les problématiques : « – Comment on fait quand on a pas de hiérarchie ?«
Journaligeek — Je voulais vous demandez, avez-vous eu des problèmes avec la pédagogie pour le lancement de la promo ?
Nicolas Sadirac — On a tout un tas de problèmes, on a en permanence des problèmes. Par exemple, des problèmes aussi simple que cohabiter dans une salle, des problèmes de bruits comme : «- Tu m’gênes quand tu fais du bruit !
– Oui mais moi j’ai l’droit de travailler tranquillement !
– Oui mais moi j’ai l’droit d’pouvoir faire du bruit… »
Voilà, on est dans une problématique de « collaboration plate« . Il n’y a pas de hiérarchie, il n’y a pas quelqu’un qui viendra leur dire : « – Non y’aura pas de d’bruit !
– Oui y’aura du bruit ! »
On est dans le truc où il faut arriver à se mettre d’accord. On est un groupe : « – Qui est d’accord ?
– Qui n’est pas d’accord ?
– Qui en pense quoi ?
– Comment on fait quand quelqu’un ne respecte pas les règles ? » Etc.
On est dans une problématique permanente de collaboration particulièrement dans un environnement créatif. Si on norme les choses, si les gens se sentent normés, il n’y a plus de créativité. Mais si c’est trop le bazar, il n’y a plus de créativité non plus donc il faut trouver la juste ligne, au milieu, qui permet ça. Donc, effectivement, on met les étudiants dans la situation d’avoir à développer ça.
Interview de Nicolas Sadirac réalisée en Février 2014 par Mehdi Naceri.
PS : La troisième partie paraîtra la semaine prochaine !