Interview sincère de Nicolas Sadirac (Ecole 42, Epitech, Web@cademie) 3e partie (3/4)

Einstein-Interview de Nicolas Sadirac-Ecole 42

Journaligeek : Si l’Éducation Nationale était une personne, que souhaiteriez-vous lui dire, lui signaler et surtout qu’espériez-vous qu’elle puisse faire pour l’avenir de la France ?

Nicolas Sadirac : Alors là ! Ça, c’est une question immense ! J’aimerai vraiment pas être à la place d’un responsable de l’Éducation Nationale. C’est quelque chose de très compliqué puisque la problématique, finalement, c’est que tout le monde commence à avoir des idées assez claires sur vers où il faut aller. La problématique c’est plus le « comment ?« . Le « comment  fait-on changer toute cette masse de personnes qui a des habitudes, des privilèges, des conforts ?« , qu’il va falloir un peu bousculer. Donc moi je pense qu’aujourd’hui la programmation est indispensable. C’est un mode de pensée. Qui est, de mon point de vue, aussi important que la méthode scientifique.

Aujourd’hui, je pense qu’on est au même stade qu’au début de la révolution industrielle. C’est-à-dire que des pays vont rater le virage, vont rater la nouvelle révolution qui est en train de se faire : c’est une révolution autour de la pensée qu’on appelle « computal thinking« , la pensée opérationnelle, la façon de penser autour de la programmation. Ce n’est pas forcément le langage, beaucoup de gens mélangent le langage et la programmation.

JG : Ont-ils peur d’apprendre ce langage justement ?

NS : La problématique n’est pas un problème de langage. Moi, j’ai enseigné à des enfants de 6/8 ans la programmation avec des tortues, des choses où on leur faisait avec des fiches cartonnés : il n’y a pas de langage !

C’est la façon procédurale, la façon de pensée, c’est-à-dire qu’en fin de compte c’est la capacité finalement à « procédurer » une action c’est se dire : « Je veux obtenir ça. J’ai un certain nombre d ‘éléments et je suis donc capable d’imbriquer les éléments les uns dans les autres pour obtenir leur résultat. » Cette façon de penser, qu’on utilise en permanence quand on programme, est déliée du langage, c’est un mode de pensée. Ce mode de pensée est la clé de la compréhension de l’avenir à court terme.

Ceux qui l’auront, très clairement domineront le monde, ceux qui ne l’auront pas le subiront. C’est aussi simple que ça. On est dans la même configuration qu’à l’apparition de l’ère industrielle. Donc ceux qui vont rater, ça va se passer très mal !

Maintenant c’est un changement qui va durer peut-être 2/3 générations donc c’est quelque chose d’assez long. Néanmoins, je pense qu’il y a des pays qui sont en train de prendre le tournant très très vite, il y a des pays qui vont imposer le fait de programmer à l’école depuis tout petit. Mais, entre guillemets, c’est pas forcément « positif » c’est-à-dire qu’on peut apprendre la programmation d’une façon….

JG : Peut-on « mal » l’apprendre ?

NS : Oui, on peut apprendre la programmation de façon très mécanique et, du coup, ça peut être un outil encore plus réducteur. Car si vous amenez les gens à la programmation, qui est un outil pour exprimer sa façon de pensée, de manière très contraignante et violente alors vous réduisez la créativité encore plus fort qu’aujourd’hui. Puisque de nos jours, même dans les mathématiques on a encore beaucoup d’espace de liberté intellectuelle. Dans la programmation, il n’y en a plus du tout.

Si vous imaginez que vous voulez former 300 personnes qui, en face d’un problème, vous sortent 300 programmes identiques alors vous fabriquez des robots. C’est très contraignant. Il y a donc un vrai enjeu sur « comment va-t-on le faire ? » et « comment va-t-on développer les gens ?« . Mais si vous travaillez vous pouvez, moi je l’ai fait quand on a fait le plan informatique pour tous dans les années 80/90.

Vous mettez des gamins en face d’outils informatiques à apprendre par eux-mêmes. Vous développez une créativité formidables, un vrai esprit de collaboration, une vraie confiance individuelle dans le groupe c’est-à-dire se sentir bien dans un groupe en sachant qu’on va apporter au groupe et que le groupe va trouver des solutions quelques soit la nature du problème : c’est quelque chose de réconfortant et solide. Si on va dans ce sens là, les pays qui sont capables de le faire, si l’État français est capable de mettre ça en place, ce serait formidable.

Mais aujourd’hui, la difficulté est structurelle. Elle est liée à l’organe lui-même qu’est l’Éducation Nationale. Je discute souvent avec Gilles Babinet, ambassadeur numérique de la France auprès de l’Europe (ndlr : et aussi connu pour le scandale avec la CNIL), qui pense qu’ « il n’y a pas de solutions dans le système. » C’est-à-dire qu’il pense que ça ne peut pas être l’Éducation Nationale qui va le faire. Il faut faire à coté. Il faut fabriquer des sites. Passer par des structures comme la Maison de la Programmation…

JG : Ou comme votre autre structure, la Web@cadémie ?

NS : Oui mais la Web@cadémie c’est encore une autre chose. C’est proche de 42, si vous voulez, c’est même vraisemblablement un embryon de l’École 42, c’est quelque chose qui nous a permis d’expérimenter et d’aller vers 42.

Mais la Web@cadémie et 42, ce ne sont que des solutions à court terme. Ce sont des solutions parce que nous sommes 20e puissance numérique mondiale et 5e puissance économique mondiale. Cela veut dire qu’on dégringole dans le numérique, on dégringole vite. Il y a un risque de décrochage, il y a un risque qu’on ne puisse pas après revenir. Donc le but les objets comme 42, comme la Web@cadémie, c’est de fournir des outils mais cela ne résout pas le problème.

Le problème est pour toute la population. Quelqu’un qui fait du marketing il doit comprendre le numérique, il doit savoir programmer, il doit savoir penser procédural. C’est-à-dire que si aujourd’hui ou dans 20, 30, 40 ans nos dirigeants ne sont pas capables, tous, d’intégrer la pensée numérique. Imaginez aujourd’hui un dirigeant qui n’est pas la pensée scientifique, pas besoin d’être chercheur mais on est tous cartésien.

Aujourd’hui, les gens qui ne seraient pas cartésien seraient dans un tel désavantage que cela serait gravissime. Et c’est ce que vous avez dans certain pays sous-développé. Vous avez des pays où les gens ne sont pas cartésiens parce que le changement n’a pas eu lieu ou ils sont peu cartésiens. On voit bien la différence de valeure ajoutée que cela créée au niveau de la planète. Alors après on peut le regretter d’ailleurs, y’a des choix…, on peut se dire qu’il y a un problème de croissance.

Mais indépendamment de ça, si vous voulez, quand vous êtes dans un système concurrentiel telle que la structure du monde, le fait d’avoir un avantage comme le fait d’être cartésien est extrêmement fort. Je pense qu’on est dans la même situation, dans 15 ans, ceux qui seront peu cartésiens et qui n’ont pas la capacité à penser procédurale-ment, c’est-à-dire à la pensée de la programmation, ils auront un vrai désavantage. Qu’il soit informaticien mais qu’il soit aussi marketeur, vendeur… Enfin TOUT ! Cela va devenir un objet normal….

JG : Journaliste…

NS : Oui journaliste, d’ailleurs Sciences Po veut se lancer dans l’enseignement de la programmation.

JG : Ils n’ont pas fait de l’enseignement de programmation pour l’instant mais, en tout cas, dans les masters journalisme et dans certains masters ils commencent déjà à intégrer de la programmation.

NS : Nous ils nous ont vus, ils nous ont rencontrés quand j’étais à Epitech. On devait monter un programme pour apprendre à programmer aux journalistes. Nan mais aujourd’hui tout le monde le fait !

Nous on est en train de lancer un programme avec HEC, avec l’ESCP, avec Centrale.

Aujourd’hui je pense que beaucoup de gens ont pris conscience que c’est une des briques de la pensée. Ce n’est pas la seule parce qu’il y a aussi le côté absolu « faut faire que ça ! » Mais non, mais c’est une élément. C’est comme aujourd’hui vous êtes scientifique et journaliste. Enfin, vous êtes cartésien et journaliste. Aujourd’hui un journaliste qui ne serait pas cartésien ça ne marcherait pas. On ne pourrait pas le lire. Vous voyez cela ne passerait pas.

Par exemple, quand vous lisez les articles de journaux de pays, en Iran vous voyez qu’ils ne sont pas cartésiens, en lisant vous le voyez que ce n’est pas cartésien…

JG : Après ça ne veut pas dire que certains journalistes ici….

NS : Non ! Non !

Je dis pas le contraire, je dis pas ça. Je dis juste qu’aujourd’hui c’est une base, c’est une base que l’on attend. On est très surpris de voir quelqu’un qui fait des syllogismes, ça fait très bizarre. Il y a des endroits où ce n’est pas le cas, où ça ne pose aucun problème. Et ça a durée très longtemps !

Vous prenez des écrits du moyen-Age. J’en parlais il y a 3-4 mois avec mon fils, il y a clairement des choses qui ne peuvent pas être lues aujourd’hui. On ne comprends pas « pourquoi ?« . C’est-à-dire que l’on se dit qu’il s’est trompé en l’écrivant, mais non ! A l’époque, c’était normal. La pensée n’était pas du tout cartésienne, elle était basée sur ce qu’il y avait écrit dans La Bible. Et dans La Bible, c’était complètement incohérent et c’est pas grave, c’est comme ça !

JG : Les traductions aussi de l’époque….

NS : Oui mais nan même, même. Je pense qu’on a une vraie logique de déduction. Elle est le changement de l’ère cartésienne qui a donné lieu à l’ère industrielle. Donc c’est un vrai changement de société.

Avant, vous aviez un côté empirique qui était basé que sur les Anciens, sur l’observation et sur un certains nombres de paradigmes un petit peu entre guillemets qui est une sorte de « consensus ». C’était un consensus imposé de force par l’Église et le système de Seigneur. Mais il n’y avait personne en train de se demander finalement si c’était cohérent. Ce n’était pas le sujet, cela n’intéressait personne.

Vous savez il y a une liste d’états de faits. Bon, on est passé au cartésianisme. Et là je pense qu’on est en train de passer à une nouvelle façon d’optimiser le côté cartésien. Parce que ça peut aller très très loin cette histoire. Si vous réfléchissez, dans peut-être 20-30 ans on aura, je pense, une interface à la réalité qui sera totalement numérique comme des lunettes, quoique ce sera peut-être même pire…

interview réalisé par Mehdi Naceri en Février 2014.

Programme des productions futures !

Bonsoir,

Ayant eu un problème de WiFi et quelques soucis à régler pour mon entreprise, je n’ai pas pu publier comme je le souhaitais. 

Dans les prochaines semaines, je publierai :

– 3ème et 4ème parties de l’interview de Nicolas Sadirac. 

– deux articles très intéressants de Louis Rougnon-Glasson (journaliste de Mediapart). 

– interview d’un grossiste de drogue. 

– dissertation/commentaire sur le Futur du Journalisme. 

– commentaire sur la génération M. 

– mise en ligne d’un reportage sur le Street Art : de la Rue aux Musées. 

– interviews sur Charlie Hebdo. 

– d’autres enquêtes et quelques interviews intéressantes…

Merci de faire suivre et de partager mon blog. Je ferai de même !

Interview sincère de Nicolas Sadirac (Ecole 42, Epitech, Web@cademie) 2e partie (2/4)

Journaligeek — Vous êtes passionné de « pédagogie active » c’est-à-dire que vous souhaitez que vos élèves « apprennent en faisant ». Ce tout nouveau système, en France, est-il en adéquation avec les attentes du marché du travail ? Quels sont les retours de vos élèves ? Quels sont les retours des entreprises ?


Nicolas Sadirac Alors c’est un peu tôt pour parler du retour des élèves et des entreprises puisqu’on vient de démarrer depuis 4 mois (ndlr : interview datant de Février 2014). Ce dont je peux parler ce serait de mes expériences passées. Parce que, effectivement, ça fait à peu près 20 ans que je fais ça dans d’autres structures dont EPITA et EPITECH.

« Les moutons rares valent des milliards »

D’abord les retours entreprises sont formidables. Aujourd’hui, un étudiant qui sort d’EPITECH a entre 25 et 35 demandes d’emplois donc il y a une vraie demande très très forte. On est dans le paradigme économique, le gros du système fabrique  des « logisticiens », même en informatique, capables de faire des choses très très complexes, très très structurés mais pas du tout imaginatif, pas du tout créatif, pas du tout innovant.

Donc, aujourd’hui, les « moutons rares », des gens capables de vous inventez une Freebox ou de vous sortir un Facebook, ils valent une fortune puisqu’ils valent un écosystème entier, ils valent des milliards donc il n’y a pas de problématique, ça c’est extrêmement recherché.

« Le système scolaire a été fait pour simplifier la vie »

Pour les étudiants c’est un peu plus compliqué. Beaucoup d’étudiants ne sont pas bien dans le système scolaire mais ils imaginent que quand on enlève tout un tas d’artifices ds le système scolaire, ça va bien se passer, alors qu’en réalité c’est plutôt plus dur.

Le système scolaire d’aujourd’hui a été fait pour simplifier la vie, pour normaliser les choses. Un exercice scolaire : tout est fait pour que ça marche ! C’est, en fin de compte, une abstraction, une simplification du monde.

« La difficulté c’est la charge de travail »

LA problématique c’est quand on revient dans la réalité tout devient plus problématique et donc devient plus pénible. Et ça, ça demande beaucoup d’effort. Donc ça c’est une vraie difficulté, particulièrement en ce moment, puisque là on est en début de cursus, et dans ce début de cursus, en générale, la difficulté c’est cette charge de travail.

C’est-à-dire que les étudiants ne sont pas habitués à travailler 70 à 90 heures par semaine alors qu’ils sont habitués à travailler plutôt une trentaine d’heures donc ça demande un surinvestissement important. La contrepartie c’est que c’est de l’investissement actif.

« Je ne suis pas fan de « pédagogie active ». »

On parlait tout à l’heure « pédagogie active », en fin de compte, je ne suis pas fan de « pédagogie active ». C’est simplement que, pour apprendre à des gens à être autonome, il n’y a que ça qui marche. Vous ne pouvez pas apprendre à quelqu’un comment être autonome en lui expliquant comment l’être. Vous êtes obliger de le mettre en situation de ….

Parce que c’est comme ça que l’on développe son autonomie. On ne développe pas son autonomie avec quelqu’un qui dit : « – Dans ce cas là, il faut faire sa ». On a tout le temps de la dépendance.

« On enlève le professeur mais on lui substitue la communauté. »

La seule façon de développer l’autonomie, la créativité, la capacité à évoluer c’est, justement, en se soustrayant à leur professeur, en enlevant le professeur. La bonne technique, qu’on a mis en place, c’est qu’on enlève le professeur mais on lui substitue la communauté. C’est-à-dire que les étudiants vont apprendre les uns des autres, collaborativement, et ils vont apprendre quand on est, finalement, un groupe.

« Leur seule vraie compétence c’est leur créativité. »

La problématique c’est que la société qu’on est en train de construire est basée sur l’innovation, la créativité et l’évolution permanente. On est dans le permanent changement. Le paradigme est donc totalement différent. Les qualités qu’on attend des individus dans cette nouvelle société sont, essentiellement, leur créativité et leur capacité à collaborer. D’ailleurs, en fin de compte, leur seule vraie compétence c’est leur créativité.

« On est obligé de faire le contraire du système éducatif. »

Mais on s’aperçoit, aujourd’hui, que sans collaboration on n’arrive plus à être créatif puisque le niveau de créativité est trop élevé pour être individuelle. Et donc, pour arriver à ces qualités on est obligé, finalement, de faire le contraire du système éducatif. C’est-à-dire qu’on ne doit pas avoir un professeur « exemple » qu’on va essayer d’imiter et où l’on va essayer de se conformer le plus possible.

Mais au contraire, on doit soustraire le professeur et lui remplacer petit à petit la communauté. Donc c’est tout le processus qu’on essaie de mettre en phase ici mais, du coup, ça demande tout un tas de nouvelles qualités comme discuter avec ses camarades, les problématiques : « – Comment on fait quand on a pas de hiérarchie ?« 

Journaligeek — Je voulais vous demandez, avez-vous eu des problèmes avec la pédagogie pour le lancement de la promo ?

Nicolas Sadirac On a tout un tas de problèmes, on a en permanence des problèmes. Par exemple, des problèmes aussi simple que cohabiter dans une salle, des problèmes de bruits comme : «- Tu m’gênes quand tu fais du bruit !
– Oui mais moi j’ai l’droit de travailler tranquillement !
– Oui mais moi j’ai l’droit d’pouvoir faire du bruit… »

Voilà, on est dans une problématique de « collaboration plate« . Il n’y a pas de hiérarchie, il n’y a pas quelqu’un qui viendra leur dire : « – Non y’aura pas de d’bruit !
– Oui y’aura du bruit ! »

On est dans le truc où il faut arriver à se mettre d’accord. On est un groupe : « – Qui est d’accord ?
– Qui n’est pas d’accord ?
– Qui en pense quoi ?
– Comment on fait quand quelqu’un ne respecte pas les règles ? » Etc. 

On est dans une problématique permanente de collaboration particulièrement dans un environnement créatif. Si on norme les choses, si les gens se sentent normés, il n’y a plus de  créativité. Mais si c’est trop le bazar, il n’y a plus de créativité non plus donc il faut trouver la juste ligne, au milieu, qui permet ça. Donc, effectivement, on met les étudiants dans la situation d’avoir à développer ça.

Interview de Nicolas Sadirac réalisée en Février 2014 par Mehdi Naceri.

PS : La troisième partie paraîtra la semaine prochaine !

Interview sincère de Nicolas Sadirac (École 42, Epitech, Web@cademie) 1ère partie (1/4)

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L’Ecole 42, école de programmation et d’informatique crée par Xavier Niel (fondateur de Free), m’a intrigué de par ses multiples nouveautés proposées. Début Février 2014, au chômage depuis plusieurs mois, j’ai décidé de me lancer dans le codage, l’informatique, le web 3.0 voir 4.0. Pour se faire, j’ai commencé par faire le tour des écoles d’informatiques de Paris.

L’une m’a directement interpellé puisqu’elle proposait une formation gratuite de 3 ans ainsi qu’un environnement très spécial : pas de professeurs, utilisation de grands iMacs, ambiance incubateur, multiculturelle, cosmopolite, apprendre grâce à la communauté et à l’entraide. Cependant, de nombreux points restaient un mystère pour moi. Je me suis dirigé vers le directeur de cette école, Nicolas Sadirac, et lui ai proposé une interview qu’il a accepté volontiers.

Ceci est ma première interview de Nicolas Sadirac réalisée en Février 2014. Elle se découpe en 4 parties et n’a été publiée nulle part.

Après cette interview, j’ai tenté la Piscine de Septembre 2014 (épreuve d’admission d’une durée d’un mois avec 10/16h de taff par jour en moyenne). A la suite de ce mois, où j’ai reçu un magnifique  » – 42  » au dernier exam avec une moyenne générale de « 0.1 », j’ai entrepris de faire une seconde interview pour approfondir la première. Elle sera publiée plus tard.

Rendez-vous à l’Ecole 42 à Paris, 96 Boulevard Bessière, avec Nicolas Sadirac, directeur de l’établissement. Il m’accueille au rez-de-chaussée puis nous montons un étage et nous rentrons dans une salle meublée d’une grande table avec un immense mur floral. Je pose mon iPhone (oui je suis un mouton) et le règle en mode « microphone ». Je sors mes questions et commence l’interrogatoire !

– Pourquoi, pour vous, les jeunes dits  « ascolaires » sont le vivier où l’on trouve les talents les plus importants ?

Alors d’abord je ne dirai pas que c’est forcément le vivier où l’on trouve le plus de talent mais c’est un vivier où, en tout cas, il y a une grande quantité de talents qui sont sous-exploités.

Il faut déjà revenir à une vision globale du problème.

Aujourd’hui, on est dans un système économique qui se dirige vers un changement de valeur. On a une société qui est très basée sur la logistique, sur la capacité à accepter une hiérarchie, à travailler dans un environnement très répétitif, très contraint par des règles, etc. Et ça, c’est globalement le monde industriel tel qu’il est avec sa chaîne de valeur. Elle est en train de se décaler vers une chaîne de valeur plus créative basée sur la singularité, la capacité à innover, à collaborer plus que la capacité à obéir et, en fin de compte, à appliquer des règles.

Le problème c’est que le système éducatif tel qu’il est aujourd’hui est, globalement dans l’occident, construit pour fabriquer « les bons soldats, les bons ouvriers » qui vont correspondre à ce « monde usine ». De ce fait, les gens qui vont être à la fois soit exclu de ce système soit qui vont rester le moins longtemps possible vont, finalement, être les gens les plus préservés.

Soit ils sont exclus parce que, tout simplement, ils ne supportent pas ce système là parce qu’ils sont, justement, particulièrement créatif ou qu’ils ne supportent pas très bien ce système hiérarchique donc ils sont exclus. Ou alors, tout simplement, ils vont y avoir moins accès pour des raisons sociales car ils ont moins de support. Finalement, la majorité des jeunes sont mal dans le système scolaire, c’est a peu près entendu. Et vous allez avoir un marqueur social important.

Non pas que les jeunes soient plus doués dans les milieux sociaux plus élevés mais parce que leur famille va faire une pression plus fort pour qu’il reste à l’école. La famille va lui apporter des soutiens ce qui fait qu’ils restent plus longtemps dans le système. Ce faisant, ils vont obtenir des accréditations et des diplômes mais ils vont aussi, petit à petit, dégrader leur partie créative puisque ce système est fait, avant tout, pour les normaliser.

Effectivement, dans les gens qui sont en dehors du système scolaire, on va retrouver des gens qui ne sont pas en phase avec le système parce qu’ils sont trop créatifs ou trop « indisciplinés » ou, en tout cas, n’acceptent pas la hiérarchie « bête et méchante » mais ils peuvent être aussi en dehors de la phase parce qu’ils sont fainéants. Tout les gens en échec scolaire ne sont pas forcément doués. A côté de ça, vous avez desgens qui vont sortir du système scolaire pas parce qu’ils vont être spécialement créatifs mais ils sortiront du système et auront moins de dégats sur leur capacité à exprimer leur créativité.

Donc, en effet, dans ce vivier qui est relativement important parce qu’on a peu près  à 12000 jeunes qui sortent du système scolaire très tôt chaque année. Vous avez certainement les gens les plus créatifs et les plus capables d’imaginer le monde de demain dont on a besoin à condition de consolider les éléments que sont la capacité à travailler en équipe, à co-créer, leur capacité technique si on veut faire de l’informatique, etc. C’est vrai qu’il y a beaucoup de travail à faire.

D’ailleurs, en ce moment beaucoup d’écoles font beaucoup de travail pour essayer d’intégrer de la créativité mais c’est un travail contre-productif. On a détruit la créativité pendant 20 ans d’études et on va essayer, à la marge, d’en rajouter alors qu’il y a des gens qui n’ont pas été détériorés et qu’il est souvent plus simple de leur apprendre des éléments techniques qu’ils ont besoin, plutôt que d’essayer de prendre quelqu’un qui a tout les éléments techniques mais qui n’a plus du tout de créativité pour lui rapporter de la créativité, c’est très complexe de restaurer cette créativité qui est naturelle.

Les enfants sont très créatifs naturellement. C’est juste que, pendant des années, on va les entraîner à ne plus se faire confiance, à ne plus avoir d’idée, à s’en méfier. On s’aperçoit qu’un jeune de 10-12ans, quand il est à l’école, il a déjà peur de ses propres idées, on lui a appris à ne pas faire n’importe quoi, à ne pas sortir du moule.

Donc ce travail qui a été fait pendant 20 ans est beaucoup plus compliqué de le défaire que, finalement, contourner le problème. En effet, dans cette population de gens, d’ailleurs on le voit bien dans les créateurs de start-up aujourd’hui, vous avez une surreprésentation de ces jeunes autodidactes parce qu’ils apportent une créativité. Et ils sont surreprésentés ce qui est assez illogique. C’est logique dans ce côté créatif mais, en même temps, ils n’ont pas les mêmes bagages en terme de réseaux, de commerce et de technique. Donc si, aujourd’hui, on leur donnait les mêmes moyens, alors on aurait certainenement une surproduction de nouveautés.

– Votre école s’adresse à tout le monde, aux « ascolaires », aux jeunes, aux littéraires, aux matheux, etc. Pourtant, les plus âgés des étudiants ne pourront pas postuler. De plus, de nombreux étudiants souhaitent obtenir un diplôme reconnu et certifié par l’État, ce qui n’est pas le cas de vos diplômes. D’autres ont des projets d’avenirs qu’ils veulent réaliser immédiatement tels qu’ouvrir une start-up ou se lancer rapidement dans le monde du travail. Certains ont même besoin d’intégrer une école bien avant ou bien après le mois de Septembre. Que pourriez-vous dire à ceux qui hésitent de venir et à ceux qui ne peuvent pas accéder à votre école ?

Déjà, je vais vous dire une chose : il n’y a aucune école et aucune institution qui peut résoudre tout les problèmes à la fois. D’ailleurs, c’est souvent en essayant de résoudre tout les problèmes à la fois qu’on arrive à en résoudre aucun. Donc, il faut se focaliser sur un certain nombre de points.

Pourquoi a-t-on limité l’âge ?

C’est, essentiellement, parce qu’il y a une cohérence de promotion et qu’elle se fait avec des gens de tranches d’âge. Cela peut marcher avec des gens d’âge supérieur, et on l’a déjà fait, mais on a pas la ressource donc on s’est focaliser là-dessus.

Deuxième point, il est évident que ceux qui ont envie de démarrer des projets tout de suite, c’est une bonne chose. Aujourd’hui, on est dans un environnement qui est très porteur, on a besoin de nouveauté, le numérique a besoin de gens entreprenants et j’en rencontre tout les jours, heureusement, et c’est une très bonne chose que de le devancer.

Maintenant, l’école s’adresse à des gens qui sont dans une phase où il cherche à revenir vers une forme de réussite, une forme de confiance en eux, une forme générale, avoir des atouts qui leur permettent de commencer.

Troisième point, la partie diplôme. J’ai envie de dire qu’aujourd’hui on ne recrute pas un informaticien au vu de ces diplômes. Ainsi, une personne qui cherche des diplômes « reconnus par l’Etat », de notre point de vu, elle est dans le moule, elle est dans le système, on veut tout à fait le contraire de ces gens là. On veut des gens innovants, qui veulent prendre des risques, capables de prendre des risques, capables d’innover, capable de s’exposer, capable de se développer plutôt que d’appiyer leur développement sur une institution d’Etat.

Aujourd’hui, c’est une vraie volonté qu’on veut pas rentrer dans le modèle et dans le moule. On veut pas rentrer dans ce système très conformiste, très découpé, on veut pas être une case dans ce système. On est un « work-around », on est un contournement de ce système qui permet de se développer soi pour ce qu’on est et pas pour aller remplir une case prédéterminée. Alors ça c’est vraiment un point important.

Excusez-moi, les élèves peuvent comprendre cette idée, mais les parents de ces élèves…


Bien Bien sûr, il y a des parents qui ne peuvent pas comprendre. Je suis tout à fait conscient et j’en rencontre beaucoup. C’est complexe pour les parents. Mais bon, je pense que la société est quand même en train de changer et ce qui est amusant, c’est qu’on s’aperçoit que plus les parents sont éduqués, ont fait des études élevés, plus ils sont réceptifs à cette logique là. Effectivement, c’est malheureux pour nous puisque ce sont plus les milieux les moins éduqués qui ont le plus de mal à sortir du moule parce qu’ils sont les plus conditionnés, parce qu’ils se sentent plus fragiles, ils voient peut-être moins le changement.

Car aujourd’hui, il faut bien comprendre que la plupart des « élites », la plupart des gens qui sont actifs voient que le monde est en train de changer violemment, il voit bien que le système qui a été fait jusque là ne tient plus la route, il ne marche pas. Et donc, ils sont tous en attente d’un changement pour eux et pour leurs enfants.

Interview de Nicolas Sadirac réalisé par Mehdi Naceri (février 2014)

PS : une partie sera publiée par semaine.

PS² : je remercie tout les élèves de l’École 42 pour les moments que j’ai passé avec eux et, surtout, quelques uns qui se reconnaitront ! (de Loks à Phil en passant par Jerem)